lundi 6 septembre 2010

Des petits gars bien de chez nous : un brin d’histoire

«Le sport ne prend pas de vacances».  Ce n’est pas nous qui le disons, c’est le bon ami Jean-Charles (il dit ça et tout plein d’autres choses pleine de sagesse, en fait).   Canadien non plus, ne prend jamais congé.  Ni des médias, ni des cervelles en ébullition des grands esprits qui parsèment la Belle Province.
Ainsi, alors que la politique, pour une fois, ne se terrait pas durant la saison estivale, ce ne sont pas les noms bien de chez nous « Charest » et « Bellemare » qui occupait la population, et les rédacteurs en chef, webmestres et autres chefs d’orchestre des différents médias : ce sont plutôt « Halak » et « Price ».
En fait de noms québécois, ce serait plutôt l’absence de qui a fait jaser. Ainsi donc, alors que Steve Yzerman se méritait les éloges pour sa vision et sa francophilie (vous savez, le même Steve Yzerman qui avait envoyé à Vancouver l’équipe Olympique de hockey affichant la plus basse représentativité québécoise de l’histoire ?), la direction du Club de Hockey Canadien se faisait varloper de tous côtés pour sa francophobie. Ont contribué au tir groupé : Guy Carbonneau, Vincent Damphousse, Patrice Brisebois et Michel Bergeron, encouragés, bien sûr, par les sommités que sont Michel Villeneuve et ses confrères radiophoniques.
La ritournelle se répète à chaque automne, ou presque, et s’appuie sans cesse sur le même constat : les Québécois sont bien peu nombreux sur la patinoire du Centre Bell. Cet état de fait mène à un nombre considérable de dérives interprétatives : affirmation du rôle de promoteur du fait français dans la LNH que devrait assumer Canadien, suspicions sur la francophobie de l’état-major de Canadien, mouvements ( au mieux mignons) de boycott des produits Molson (!), théories fumeuses sur la relation entre les résultats de l’équipe et la proportion d’indigènes, mesures de l’effort basées sur l’origine des joueurs, et ainsi de suite. En somme, il nous faut davantage de joueurs québécois chez Canadien, à la fois parce que cela fait partie de la mission de l’équipe, mais aussi parce que la présence d’un nombre élevé de ces joueurs de chez nous est un gage de réussite.
Ce délire collectif soulève un certain nombre de questions intéressantes : d’abord, ce « nationalisme sportif » est-il unique aux partisans Montréalais ? Où s’inscrit-il dans le portrait de la société québécoise ? Fait-il des québécois des nazis, des intolérants, ou encore des racistes ? Qu’est-ce qui amène certains partisans à exiger qu’un plus grand contingent de Québécois au sein du club ? Leurs prétentions sont-elles justifiées ? Mais surtout : pourquoi y’a-t-il de moins en moins de joueurs locaux dans l’alignement ?
Un peu d’histoire
Pour bien comprendre le présent, il faut parfois regarder le passé, disent certains. Le cas actuel en est un superbe exemple.  Les partisans les plus acharnés d’un Canadien « tout québécois » sont avant tout nostalgiques d’une époque ou les « Frenchies » faisaient la leçon aux autres (cinq) clubs de la ligue.    On reproche à Canadien de ne plus repêcher dans sa cour comme il le faisait durant cet âge d’or. 
Cette assertion est erronée.  Dans les faits, le repêchage existe seulement depuis 1963.  Auparavant,  les équipes développaient eux-mêmes, sur leur territoire, des réseaux dans le hockey mineur.  Au lieu d’un club-école, Canadien avait tout une toile de clubs, de tous les âges, dans lesquelles elle développait les talents locaux.  Ainsi, les jeunes hockeyeurs étaient repérés très jeunes et entraînés afin d’un jour les voir s’aligner avec le grand club.
Dans un tel contexte, durant une vaste partie du XXème siècle,  l’âge d’or du club, Canadien jouissait d’un large avantage sur ses concurrents, pour des raisons sociales, économiques, technologiques et géographiques. 
Socialement, la société québécoise est encore asservie au clergé, peu éduquée, peu cultivée, et pauvre.  Ces facteurs font en sorte que le hockey est non seulement largement pratiqué, il est roi et maître parmi les loisirs des jeunes québécois : on y joue partout, tout l’hiver durant, autant sur patins que dans les rues.  Les loisirs alternatifs que l’on connaît aujourd’hui (planche à neige, sports intérieurs, jeux vidéo, activités plus cérébrales) sont soit inexistantes, hors des moyens financiers de la famille ouvrière moyenne, ou ne sont tout simplement pas intéressant en fonction de la culture populaire de l’époque.
En parallèle à  la position monopolistique du hockey dans les loisirs masculins du siècle dernier au Québec, les facteurs géographiques, technologiques et économiques se joignent pour former un corolaire qui assure à Canadien une hégémonie sur le hockey nord-américain.
Les sociétés démocratiques et les infrastructures du monde occidental sont en plein essor au cours du siècle dernier. De nombreux conforts que nous prenons désormais pour acquis sont tout simplement absents du portrait pendant les trois quarts du XXème siècle. Il en va, entre autres, du foisonnement des arénas, alors que les technologies de réfrigération ne seront démocratisées qu’au milieu du siècle, le hockey se pratique surtout sur des glaces extérieures, voire des plans d’eau gelés. Et où trouve-t-on le plus vaste échantillon de telles étendues, qui sont du reste gelées plus longtemps que partout ailleurs en Amérique du Nord (à l’exception de contrées nordiques peu peuplées ? Et oui, dans la cour de Canadien.
Il s’ensuit que le bassin le plus large de joueurs de hockey, avec à sa disposition le plus de grand nombre de terrains d’entraînement pendant la plus longue période de l’année est la «propriété » du Club de Hockey Canadien. Qui a dit « conditions gagnantes » ? D’ailleurs, s’il fallait se convaincre davantage que ces facteurs ont joué un rôle dans les succès de Canadien, on peut souligner que les équipes ayant obtenu les meilleurs résultats derrière le Canadien, à cette même époque, sont le Toronto et le Détroit… dont la situation rappelle davantage celle du Montréal que le Boston, le New York ou le Chicago (bien qu’on pourrait arguer que les succès de Red Wings est surtout attribuable à un certain… Gordie Howe).
Au tournant des années soixante, sans doute excédés de voir les trois mêmes équipes damer le pion à leurs adversaires année après année, les gouverneurs de la ligue instaurent le repêchage amateur. Dès lors, la donne change pour le Montréal. S’il réussit à conquérir le précieux trophée du Lord Stanley au cours de la décennie 60, il le doit surtout aux derniers vestiges de cette époque faste où il avait le seul droit de regard sur les joueurs locaux.
Également, bien que le repêchage amateur existe dès 1963, le métier de dépisteur en est à ses balbutiements et ne jouit pas des moyens qu’on lui connaît aujourd’hui : on s’imagine mal un dépisteur de cette époque filmer un prospect au fin fond la Russie et télécharger le fichier vidéo pour ses collègues en poste ailleurs dans le monde ! En somme, bien que les clubs n’aient plus un droit de regard sans partage sur leur réseau, ils continueront pendant un moment à se concentrer avant tout sur les joueurs dans leurs parages.
La dernière grande dynastie de Canadien, au cours des années 70, marque un point tournant dans l’histoire du club. Ces cinq conquêtes ne sont plus autant l’œuvre des petits gars d’ici : aux côtés des Béliveau, Lafleur, Lemaire ou Savard, s’alignent des acteurs importants dont les noms ont des consonances du ROC : Robinson, Shutt, Dryden, Bowman. Mais, surtout, Pollock. On doit au directeur-général de génie de nombreux choix au repêchage qui auront façonné les années ’70.
C’est aussi au cours des décennies 60 et 70 que la société québécoise vit des changements profonds et s’ouvre sur le monde : révolution tranquille - réforme de l’éducation à la clé - Exposition universelle, Jeux Olympiques. Le Québec change, rapidement, et le hockey bien qu’important, n’est plus aussi central (paradoxalement, alors que le québécois moyen diversifie ses loisirs, les médias sportifs, eux, se réduisent de plus en plus à une couverture du hockey).  Ailleurs, on pratique de plus en plus notre sport national, et avec la multiplication des patinoires intérieures, le climat québécois n’est plus aussi avantageux qu’il l’a déjà été dans le développement de hockeyeurs de talent.
Les années ’80 marqueront l’entrée en scène des joueurs européens, grâce à l’évolution des moyens de transports et de communication qui facilitent le travail des dépisteurs, phénomène qui sera exacerbé par la chute du rideau de fer et l’ouverture d’un nouveau bassin fertile de joueurs : les joueurs russes. Désormais, le hockey est mondial, et les clubs ne peuvent plus se permettre de jouer seulement dans leur cour.
Ainsi, au fil des années, alors que les accès à des sites d’entraînement se sont multipliés et démocratisés, que les dépisteurs ont élargi leurs horizons, que les québécois ont diversifié leurs intérêts et ont été moins nombreux à embrasser le hockey comme loisir de prédilection, on a assisté à une baisse de représentativité de ceux-ci dans la LNH. Bien que pour des raisons historiques, cette différente est plus marquante chez Canadien, elle n’est surtout que le symptôme d’une roue qui tourne : celle de l’histoire en marche, celle d’une société qui évolue.
Désormais, le génie québécois ne laisse plus sa marque uniquement sur une patinoire : il est cinéaste, homme de théâtre, chef d’orchestre, hommes d’affaires, auteur. Est-ce là un mal si grave ?

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